Ce samedi le bureau avait organisé une visite guidée du musée de la Stasi. C'était l'occasion : il est vraiment excentré (plusieurs dizaines de minutes de S/U-Bahn + bus + tram + marche à pied), et je n'aurais jamais trouvé la motivation d'y aller seule !
Ce musée est installé dans un ancien centre de la Stasi, la police de la RDA. Ce n'est pas une prison à proprement parler car on y était mené avant tout procès, mais plutôt un lieu de détention provisoire et d'interrogatoire (à attendre au sens dictatorial du terme, i.e. "torture"). Aussi, les détenus n'y étaient que de passage, et malgré la capacité d'accueil relativement réduite, un grand nombre d'Allemands y a séjourné.
La conférence avait été réservée en français. Mais cette précision a été oubliée, et le guide ne parle qu'allemand. Deux femmes se proposent pour une traduction simultanée, certains comprennent très mal l'allemand. Pour moi la situation est cauchemardesque : je me concentre sur les paroles du guide, qui parle très distinctement sans vocabulaire trop pointu, mais le français à mi-voix en fond sonore embrouille terriblement.
Le lieu est marqué par deux époques distinctes. Dans les années 1940 et 1950, la torture est physique. A partir des années 1960, pour réhabiliter l'image de la RDA à l'ouest et la faire passer pour un Etat de droit, on ne laisse plus de marques visibles : c'est le règne de la torture blanche, ou psychologique. Ces deux moments s'incarnent dans des cellules différentes. Les premières cellules sont en sous-sol, dans des conditions d'hygiène plus que spartiates. Les cellules les plus tardives sont claires et disposent de l'eau courante. Les interrogatoires sont menés par des professionnels en uniformes, diplômés d'une université spéciale à Potsdam. Ils y apprennent l'art de faire parler, usant alternativement de promesses et de menaces.
Les lieux ont été fermés quelques mois après la chute du Mur. Les voisins ne savaient guère ce qui se passait derrière les hautes barricades, et l'air du temps ne valorisait pas la curiosité. Tout est resté exactement en l'état, le lino, le papier peint des bureaux, l'éclairage aux néons. Les fonctionnaires qui travaillaient ici n'ont souvent pas déménagé, ils vivent toujours à quelques mètres de là, qu'ils soient avocats, psychologues ou simples gardiens d'immeubles. Ils n'ont que vingt ans de plus, tout comme les guides d’aujourd’hui qui sont les prisonniers d'hier. Les hauts gradés, les grands responsables ont été jugés et écartés, mais on ne peut supprimer une génération de fonctionnaires sans désorganiser profondément l'Etat. Seul le temps peut faire ce travail, et il n'est pas encore passé.
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